Je quitte le Machu Picchu avec la ferme intention de quitter le Pérou rapidement, pour rester sur une bonne impression.
Ma prochaine étape est le lac Titicaca, centre de la mythologie Inca puisque c’est là que serait né le soleil (rien que ça). Du coup, je vais voyager de la vallée sacrée au lac du même métal, et passer la frontière bolivienne en même temps.
Lorsque le train du Machu Picchu entre en gare à Ollanta, je ne m’inquiète pas du transport jusqu’à Cuzco: comme d’habitude, une horde de taxis et de minivans est là pour attendre les touristes. J’ai à peine fait 10 mètres que j’ai déjà conclu mon affaire avec un chauffeur de minibus, qui m’emmène dans son véhicule qui se trouve être quasiment vide. C’est déjà moins bon signe, vu qu’il ne partira que quand il est plein. Le chauffeur nous laisse pour aller chercher d’autres passagers - ce qui n’aura pas échappé à l’oeil de ses (nombreux) concurrents, à qui il ne manque que quelques personnes pour être pleins et partir à fond de rentabilité. Hop, hop, je change de minibus et c’est parti pour Cuzco. C’est beau, la libre concurrence…
C’est un vrai plaisir de refaire la route dans l’autre sens en regardant le paysage ensoleillé et les villages défiler par la fenêtre: Urubamba, Tarabamba, Maras, Chinchero… Puis finalement Cuzco: terminus, tout le monde descend. Il est à peine 13h, il me faut 6 heures pour arriver jusqu’à Puno, la ville au bord du lac Titicaca d’où je peux prendre un bus transfrontalier pour la Bolivie - ce qui veut dire que quand j’arriverai, la frontière sera fermée. Me voilà donc exposé à un terrible dilemme: attendre le bus de nuit qui part à 22h, ou partir maintenant et dormir à Puno? That is the question , que je décide d’aborder en allant manger l’incontournable riz au poulet du déjeuner dans une gargotte de la gare de bus de Cuzco. Une fois repu, je suis décidé: quitte à souffrir, autant le faire une bonne fois pour toutes, et prendre le bus de nuit. Comme je n’ai pas ouvert mon bouquin depuis plusieurs jours, ça me donnera l’occasion d’avancer un peu dans ma lecture pendant l’après midi.
Cuzco est une ville inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, mais je doute que la gare de bus en fasse partie. Si vous ne connaissez pas l’endroit (vous avez de la chance), imaginez vous un bunker en béton hideux de 50m sur 10. De chaque côté, des comptoirs de compagnies de bus, et devant chaque comptoir, un crieur (ou une crieuse, encore pire) qui hurle à qui mieux mieux le nom des villes desservies pour attirer le chaland. Au milieu, des gamins sous LSD qui crient eux aussi, sautent de siège en siège (en plastique dur, hémorroïdes garanties) et semblent bien être déterminés à apprendre le djembé du paquet de hippies qui traînent dans un coin.
Vous me direz, c’est loin d’être anormal pour une gare routière en Amérique du Sud, et je croyais même y être habitué. Sauf qu’il est même pas 14h, et que mon bus part dans 8 heures. Ce qui ne te tue pas te rend plus fort , comme disait l’autre… alors je mets mes boules Quiès et j’aborde l’épreuve avec zenitude. Et bien, j’ai survécu. Je dois être sacrément fort maintenant.
Bref. Je suis dans le bus, j’ai tous mes billets jusqu’en Bolivie, la vie est belle. J’ai d’ailleurs passé une de mes meilleures nuits en bus depuis que je suis au Pérou, même si elle fut un peu courte. À 4h30 je suis arrivé à Puno, ce qui me permet d’admirer le lever de soleil sur le local à poubelles de la gare routière. Quelques sandwiches et deux épisodes de telenovelas plus tard, le bus pour la Bolivie quitte Puno. Je me félicite mille fois de ne pas y avoir dormi: ça me rappelle furieusement le nord du Pérou; et nom d’un cul de singe enragé, ça devrait être interdit de mettre une ville comme ça au bord du lac Titicaca.
Quelques kilomètres plus tard, le bus file silencieusement au milieu de
l’altiplano, et le paysage est de nouveau au rendez-vous. D’un côté le lac, de
l’autre des champs et des montagnes, et au dessus le ciel d’un bleu… et
bien, très bleu. Les formalités à la frontière se passent sans encombres, et
le douanier bolivien me fait même une petite blague (qui serait un peu longue
et pas très drôle à expliquer, donc je m’abstiens).
Et enfin, j’arrive à Copacabana. Pendant quelques minutes je suis un peu anxieux. Je pense même me faire kidnapper: ce n’est pas vraiment normal tous ces gens qui me disent bonjour en souriant sans me proposer un taxi ou un hôtel?!_ _ Et puis je me rappelle que même si le Pérou est à même pas 10 kilomètres, je suis bel et bien dans un autre pays. Et ça fait du bien.
Du coup je pars visiter la ville le coeur léger, notamment l’imposante cathédrale décorée d’azulejos. À presque 4000m d’altitude, le soleil tape dur et le moindre effort est plutôt fatigant, ce qui fait que tout est plutôt tranquille. Le bord de lac est aussi très sympathique, et on se croirait presque dans une station balnéaire. En fin d’après midi, je grimpe en haut d’une petite montagne pour avoir une belle vue sur les alentours. Moi qui suis amateur de grands espaces et de couchers de soleil, je suis doublement servi. J’ai passé un très bon moment, presque mystique, devant l’immensité d’eau et le ciel à perte de vue… En tendant l’oreille, on pouvait presque entendre le silence.