Je suis donc à Potosí, une des villes les plus hautes du monde (et il ne faut pas faire confiance au panneau de la gare, qui est située en contrebas de la montagne!).
Elle est au pied du Cerro Rico, une montagne autrefois très riche en argent et qui fit sa prospérité à l’époque coloniale.
Une autre particularité de l’endroit, c’est qu’à cause de l’altitude il fait foutrement froid la nuit, et que la majorité des hôtels n’ont pas de chauffage (mais beaucoup de couvertures quand même). Du coup la nuit les températures sont voisines - voire en dessous - de zéro. La journée le soleil tape très fort, et il fait plutôt bon.
Grâce à la mine (où on pouvait extraire du minerai qui contenait plus de 90% d’argent à l’époque) la ville a connu une certaine splendeur dans le passé et est donc bien dotée en bâtiments coloniaux. Malgré son côté désolé au milieu de la montagne / splendeur déchue, je l’ai d’ailleurs trouvée assez belle et plutôt agréable à visiter. Peut être parce que je ne travaille pas à la mine, justement…
D’ailleurs la grande attraction de la ville, c’est d’en visiter une, de mine.
La visite commence par un petit tour au marché des mineurs, pour
s’approvisionner en cadeaux: feuilles de coca, boissons, cigarettes et alcool.
L’affaire est bien rodée et les marchands ont des “kits” déjà prêts pour les
touristes… On se rend ensuite sur le Cerro Rico, à l’entrée de la mine
proprement dite, où notre guide égrène quelques statistiques: 500 entrées de
galerie, 15000 personnes qui y travaillent encore, pour un taux d’argent qui
est aujourd’hui autour de 2-3%. Tout l’argent extrait est parti en Espagne il
y a plusieurs siècles, et maintenant il ne reste presque plus que du zinc et
de l’étain.
À l’intérieur de la mine, ça patauge dans la gadoue, il faut marcher à 4 pattes dans les tunnels, il y a plein de poussière qui pique les yeux et la gorge, et au bout de quelques minutes ma salive a un drôle de goût de métal. Les travailleurs de la mine ont apparemment une espérance de vie de 15 ans à partir du moment où ils y rentrent (problèmes respiratoires et silicosis). La mine est une coopérative, donc chaque mineur exploite son propre filon pour son compte (moyennant une taxe payée au gouvernement), et emploie des assistants dynamiteurs et des pousseurs de chariots. C’était la fête de la coopérative les deux derniers jours, donc les travailleurs ne sont pas très nombreux à l’intérieur. On rencontrera surtout des pousseurs de chariot, et un mineur qui fera mentir les statistiques - puisqu’il y est rentré à 14 ans et en a maintenant 42. À l’intérieur, les travailleurs sont intéressés par deux choses: d’abord, boire quelque chose et ensuite, savoir quelle heure il est (vu qu’ils n’ont pas de montre et ne voient pas la lumière du jour). La plupart de ceux que nous rencontrerons ont commencé leur “service” vers 3 ou 4 heures du matin.
Cette visite fut une expérience intéressante mais légèrement dérangeante. C’était un peu comme si on me vendait un ticket pour aller visiter une exploitation esclavagiste, mais où les esclaves seraient volontaires. Même si on a arrosé de cadeaux les personnes rencontrées (qui étaient d’ailleurs très fières de ce qu’elles faisaient) ça fait drôle de ressortir au bout de quelques heures en se disant “fiou, vivement que je rentre me prendre une petite douche et une bière pour me remettre de tout ça” pendant que les vrais mineurs continuent à trimer à l’intérieur… On se rassurera en se disant que c’est toujours mieux qu’à l’époque coloniale, où les Espagnols envoyaient les indigènes à la mine pour 3 mois, sans sortir.
No chains around my feet - but I ain’t free. – Bob Marley