De l'art de manger des tacos

Manger des tacos dans la rue - et surtout à Mexico - représente pour moi le summum de l’expérience culinaire dans le pays.

Il y a des gens en voyage qui ne jurent que par la street food , sous le prétexte que bouffer un truc non identifié qui a pourri au soleil toute la journée les connecte mieux avec la population locale. Je ne fais pas partie de ces gens là, mais il y a quelques exceptions, et les tacos en font partie.

À Mexico j’étais hébergé chez un CouchSurfer dans un quartier tranquille, un peu excentré. Pas de touristes, mais beaucoup de petits endroits où on peut manger rapide et pour rien du tout. Juste en bas de la rue il y a justement ce stand de tacos, où il y a toujours quelqu’un (gage de confiance). C’est là que j’ai perfectionné ma technique de dégustation…

Ça commence toujours pareil: on a un petit creux, on revient du centre, on va à la station de métro ou juste on passe devant et l’étalage met l’eau à la bouche. On s’arrête, salue le chef ès-taco et commande quelque chose. Ma combinaison préférée: un taco arabe pour commencer (avec une sorte de viande à kébab et des morceaux d’ananas, me demandez pas pourquoi ça s’appelle comme ça), et ensuite le plat de résistance, la Rolls du taco… J’ai nommé le choriqueso , servi dans une tortilla de harina , c’est à dire à la farine de blé. Parce que, le maïs, ça va bien cinq minutes mais on finit quand même par se lasser.

C’est le début de la deuxième étape: l’attente. Le chef taco se saisit de son tas de viande, et de quelques coups de couteau bien placés, fait glisser les morceaux de chorizo sur la plaque chauffante. Pendant qu’ils reviennent dans l’huile (faudrait pas que ce soit trop léger non plus), il prépare les copeaux de fromage avant de mélanger le tout, toujours aidé de son couteau magique. Pendant ce temps, l’assistant taco a fait réchauffer les tortillas sur une autre plaque, et on a commencé à discuter avec mon voisin, ou à regarder les voitures qui passent, ou bu quelques gorgées d’un soda quelconque (mon favori est le Toronja , une sorte de Fanta Pamplemousse que j’apprécie beaucoup).

Là, alors que on n’y croyait plus et que le ventre gargouille désespérément, le chef taco vient engueuler son assistant comme quoi ce n’est pas comme ça qu’on fait chauffer une tortilla et que barre-toi de l’autre côté que je m’y mette parce que c’est moi le chef. Ça fait partie du protocole, et ça veut dire que le taco est bientôt prêt. Le chef, toujours armé de son couteau, fait un petit tas avec le mélange viande-fromage, dépose les tortillas dessus, retourne le paquet d’un geste habile et tend cérémonieusement l’assiette.

Troisième étape: la dégustation. Debout, sur le trottoir, avec les voitures qui passent et les passants qui voient, on approche son assiette des bols de sauce, et on se fait son assaisonement. En ce qui me concerne, j’asperge le tout d’une copieuse cuillerée de sauce verte douce (celle à l’avocat, pas celle qui pique). Et, parce que je suis pas venu au Mexique pour manger des trucs fades, je me rajoute une bonne rasade de sauce qui pique (mais pas celle avec la coriandre parce que j’aime pas ça). Détail indispensable: on prend un paquet de citrons et on les presse sur le taco, pour que l’acidité tue un peu le piment.

Ensuite, il faut délicatement saisir la tortilla du dessus - une fois la prise bien assurée, on pince la viande avec la tortilla et on amène le tout à la bouche. Il est impossible de prendre une bouchée sans que des morceaux tombent un peu partout - c’est là l’intérêt de la deuxième tortilla, qui ramasse les restes tombés de la première. La première bouchée fait mal (ça pique), la deuxième fait du bien (j’avais faim), la troisième soulage (qu’est ce que c’est bon, cette viandre grillée, ce fromage fondu, ce piment qui arrache et ce citron qui m’asticote les papilles…), et la quatrième en réclame une autre (j’ai fini ma première tortilla, il est temps de passer à celle du dessous).

Ensuite, on jette la protection plastique qui assure une hygiène sans faille, on rend l’assiette en félicitant le chef, et on peut passer à la dernière étape, la meilleure: la jouissance. Toujours debout sur le trottoir, je sirote les dernières gorgées de ma boisson pendant que je me liquéfie doucement mais sûrement. Le piment chauffe, tout comme le soleil de midi qui me tape sur le crâne. Je ne sens plus ma bouche. J’ai chaud. Je suis au Mexique. J’ai mangé un taco. Je n’ai plus faim… je suis bien.

NDLR: désolé, mais je n’ai pas de photos qui collent bien avec cet article. Ça se vit, ça se mange, mais ça ne se photographie pas ;-). J’en ai pris une de Flickr, cf http://012/04/4570310998-1788c0556b-b.jpgwww.flickr.com/photos/dongkwan/4570310998/